Projets de musique jouée live, pour musicien-ne-s/performeu-r-ses – commandes d'Art Zoyd Studios, résidence en studio, présentation des projets en mars 2021
Candidatures du 6 janvier 2020 au 28 février 2020.
Art Zoyd Studios recherche des projets de musique électronique, ou de projets se réclamant d'une pensée électronique. La définition du musicien, de son activité et de son placement, a énormément changé au cours de l’histoire, évoluant depuis la figure du chamane ou du griot vers celle du barde, du ménestrel, puis, il y a quelques centaines d’années (donc assez récemment), elle se scindait en deux entités bien distinctes : celle de l’instrumentiste, visant la plus grande virtuosité possible sur l’outil de production sonore qu’il s’était choisi, et celle du compositeur, inventeur de la musique qui allait être jouée – qui allait être mise en sons – par d’autres ; et même s’il y a eu des musiciens qui ont tenté de rassembler les deux fonctions en une seule figure, celle-ci n’a cessé, spécialisation technique aidant, à se scinder, compositeur d’un côté, interprète de l’autre.
Il a fallu attendre l’invention, il y a moins d’un siècle, de la musique électronique et de ses outils pour que la musique puisse redevenir l’œuvre d’un seul (et on pense à Pierre Henry, François Bayle, Michel Chion et d’autres), seul responsable de la musique comme le notait – avec étonnement ? - Milton Babbit, pourtant compositeur on ne peut plus « académique » : « Lorsque vous entrez en studio avec une pièce de musique en tête et que vous en sortez avec la pièce finie sous le bras, il s’agit d’une expérience sans pareille. Vous ne dépendez de personne d’autre que vous-même… […]. C’est une expérience où vous êtes le maitre de l’ensemble. Vos décisions restent vos décisions. On ne part de rien et on fabrique tout, depuis le début ».
La mutation suivante de la figure du musicien – et celle qui nous guide dans cet appel à projet – est plus récente puisqu’elle ne date que d’une trentaine d’années (à peine plus d’une génération !), et est liée semble-t-il non pas à un bouleversement technologique mais à un changement de paradigme de pensée, à l’adoption d’une « pensée électronique » ; il s’agit de l’apparition du musicien-compositeur et « performeur », seul maitre et seul interprète de sa musique, et ce souvent sur un instrumentarium unique dont il est à la fois l’inventeur et le seul utilisateur.
Même si on peut en pointer quelques précurseurs, essentiellement dans la Californie des années 1960 (des noms comme Morton Subotnick, Don Buchla, le virtuose du cor d’harmonie et de l’électronique Gordon Mumma ou Terry Riley, viennent à l’esprit), c’est surtout à la musique Noise que cette nouvelle incarnation du musicien doit son émergence : des auteurs comme Masami Akita / Merzbow, Zbigniew Karkowski, Peter Rehberg (Pita) ou Daniel Menche ont tous produit des musiques particulières, reconnaissables entre mille mais souvent possibles et envisageables uniquement dans la seule interprétation de l'auteur lui-même (alors que les figures de compositeurs-interprètes historiques, comme Liszt ou Chopin, destinaient leur musique également à d’autres musiciens) et si leurs musiques ont été l’inspiration d’innombrables vocations, on est très loin du rock ou du jazz, où les mêmes compositions ont servi de tremplin à des nombreuses interprétations, parfois très dissemblables, puisqu'on est là dans l’unicité de l’interprète.
L’instrumentarium utilisé est également unique à son concepteur, mais toujours élaboré sans aucune référence à la notion de virtuosité instrumentale (vieux rêve inabouti de la musique punk, où des instrumentistes doués, comme Elvis Costello ou Keith Levene, s’obligeaient à paraître inaptes à jouer de leur instrument, pour répondre à la doxa du genre), ou plutôt créant son propre vocabulaire – et sa propre définition de ce qu’est la virtuosité – sur l’appareillage (ou son accumulation) choisi.
Bien évidemment, aujourd’hui la référence à la seule musique Noise est par trop limitative – bien que ce soit une référence importante, car une des rares musiques récentes à se construire hors du format chanson ; et il ne s’agit pas d’une question de chant ou de parole(s), mais bien de structure, tout comme le serait la seule appellation de « musique électronique », ou alors il faudrait étendre la définition du Noise aux états de suspension d’une Eliane Radigue, aux drones puissants de Phill Niblock, aux stases de La Monte Young, au silence de Wandelweiser ou aux architectures électroniques de Iannis Xenakis. Cette nouvelle incarnation du compositeur, c'est celle du musicien solitaire (plutôt que soliste), jouant sa propre musique qui n’est jouée par nul autre ; c’est pour ces raisons que l’on préfère parler ici de « pensée électronique », persuadés que ce sont les outils de celle-ci, lutherie d’aujourd’hui, devenue entre-temps outils de pensée et non plus seulement de production sonore, qui est à l’origine du changement en cours dans la définition de ce qu’est la musique aujourd’hui, celle qui peut prendre la forme d’un « blast » de quelques secondes imaginé par un collectif de femmes, d’une exploration sur la durée des harmoniques inférieures d’un drone par un compositeur académique, la mise en résonance d’un espace par un plasticien, la construction d’un « mur » de HNW par un « geek » ou encore la décomposition puis la recomposition d’un son complexe en des milliers de grains sonores par un esthète du son, un individu curieux de celui-ci autant en tant que phénomène physique que de la structure à donner à son apparition : un musicien du XXIème siècle ?
Kasper.T.Toeplitz
Décembre 2019