L'interview
Qui êtes-vous ? (Âge ? Vous habitez où ? Vous faites quoi ?)
Annabelle Playe, née il y a 48 ans. Bien que mon nom comporte un « e » final, on y trouve une forme de prédestination... jouer... de quoi ?
Je vis en Lozère, terre d’accueil pour musiciens à décibels élevés. Je tente de « composer » des pièces électroniques avec un set constitué de modulaires, sampleurs, pédales, synthétiseurs polyphoniques, filtres, effets.
Petite, je demandais régulièrement à mon père en quoi consistait son travail, il me répondait immanquablement : « je compose ». L’acte de « composer », sans bien savoir de quoi il s’agissait, représenta alors une forme de rituel que seuls les initiés pouvaient comprendre. Mon père était probablement l’un d’eux. Cela demeurait quelque peu mystérieux. Plus tard, je compris qu’il était typographe et composait des textes dans les casses qui contiennent les caractères qui forment les mots. J’ai pris l’habitude de dire que je compose et cela comporte toujours une part de mystère...
Quel est votre parcours ?
J’ai commencé le chant lyrique à l’âge de 13 ans dans le Pas-de Calais. À 19 ans, j’ai intégré une classe de chant à l’ENM de Pantin. J’ai alors commencé à composer avec Sergio Ortega. J’avais tout à apprendre : harmonie, contrepoint... Je voulais écrire pour quatuor, orchestre, orgue. J’entendais des symphonies la nuit et me trouvais fort dépourvue au petit matin. Développer ses propres moyens d’écriture, apprendre au fil de ce que l’on souhaite exprimer, c’est ce qu’il m’a appris. Ne pas se limiter, être autodidacte et débutant pour chaque nouvelle pièce. Plus tard, je rencontrais Jacques Diennet qui m’a permis de mener mes premières recherches électroacoustiques et créations mixtes.
En parallèle, j’interprétais le répertoire vocal a capella de Luciano Berio, John Cage, Pascal Dusapin, Georges Aperghis... J’ai aussi beaucoup travaillé avec les enfants, en éveil musical. J’ai également écrit deux monologues pour femme et composé la musique pour l’un d’eux en multidiffusion. Là où je trouve une limite à la musique, je passe à l’écriture de textes ou au montage vidéo.
Votre pensée musicale ?
Depuis 2012, j’ai resserré ma pratique musicale autour de l’électronique en évacuant l’ordinateur qui m’a joué des tours en live. Je travaille quasiment toujours avec un assemblage Braids (mutable), Erverb et Teleplex (Make noise). C’est la base de mon set. Monomaniaque (stéréomaniaque, ça existe ?), je cherche un maximum de possibilités avec ces 3 modules. Je note tout, enregistre aussi. Je pourrais un jour créer une pièce pour orchestre de Braids, un catalogue de sons classés par fréquences, timbres, sons percussifs, drones, bruits blancs...
Ces machines me permettent de sortir de la monodie de la voix, tout en développant un geste instrumental. Elles permettent aussi de déployer un ambitus sonore de grande ampleur se rapprochant de la dimension orchestrale.. en solo !
Depuis que je me produis en live avec ce dispositif, je suis obligée de faire avec un minimum d’éléments car les machines sont lourdes à transporter. Il s’agit de développer un langage sans la contrainte du poids ! Le live a changé ma façon de composer des pièces. En studio, l’on peut diversifier les sources sonores et travailler à partir d’une multitude d’instruments électroniques, sources sonores ainsi que des traitements informatiques. Recommencer...
Avec le live, il s’agit en un temps donné, avec deux mains, (voire deux pieds, mais pour l’heure, je n’ai pas de pédaliers, je reste donc manuelle), de conduire les sons au sein d’une architecture précise et écrite. Il s’agit d’y déployer une variété de timbres, de fréquences, de dynamiques, de distorsions qui ensemble créent ruptures, entretiens, contrepoints, murs de sons, polyphonies...
Ce qui est étrange et je ne me l’explique pas, c’est que j’ai toujours la sensation que la pièce que je crée existe déjà, je ne fais que la révéler comme le travail de l’archéologue. Du coup, je ne sais si je viens du futur et cherche dans le passé ou vice-versa...
Enfin, j’ai besoin d’une immersion sonore importante et d’une diffusion puissante qui permet de vivre physiquement le son. Plus le son est puissant, plus il annule une forme de pensée mentale, une autre forme de jubilation intellectuelle et physique nous traverse. J’aime l’idée de « déplacement », et le fait de troubler nos repères. Cela court-circuite nos fonctionnements établis.
La première expérience physique du son remonte à mon enfance lorsque la foire venait s’installer à proximité. Le soir, j’entendais l’écho de la fête foraine. Quand je m’en approchais, se mettait en place un crescendo formidable jusqu’à être immergée et emportée par cette jungle sonore puissante.
Comment connaissez vous Art Zoyd Studios ? Qu’est-ce qui vous amène ici ?
Je connais Art Zoyd depuis très longtemps. Sans y être jamais allée. Hélas ! Je l’ai toujours perçu comme un espace de recherches et de créations ouvrant et œuvrant à l’exploration de nouveaux langages, outils et technologies numériques et autres.
Cela est extrêmement précieux !
C’est dans le cadre de la prochaine création de Mylène Benoît, « Archers », que je viens y faire des recherches avec Pénélope Michel et une musicienne de Shô, instrument japonais. J’aimerais beaucoup y revenir pour m’aguerrir au binaural et d’autre part au code, si mes relations à l’ordinateur se pacifient.
Comment imaginez vous votre résidence chez Art Zoyd Studios ?
Je l’imagine riche en découvertes ! Il y a beaucoup de techniques que je ne maîtrise pas. La présence du RIM sera particulièrement stimulante car il me permettra de faire le lien entre outils et langage.
Quels sont les compositeurs/musiciens qui vous ont le plus influencé ?
Je ne sais s’ils m’ont influencée mais je me ressource en les écoutant : Giacinto Scelsi, Anton Webern, Iannis Xenakis, Edgar Varese, Ivo Malec, Krzysztof Penderecki, Morton Feldman, Mika Vainio et Pan Sonic, Autechre, Merzbow, Bernard Parmegiani, Eliane Radigue, Arseny Avraamov... Je peux écouter un même morceau en boucle pendant des heures.
Quel est le dernier concert/spectacle qui vous a le plus marqué ? et où ?
« Rêve et folie » de Claude Régy. J’ai vu ses trois dernières créations et toutes agissent sur la perception. Son travail permettait de percevoir le sens en ouvrant des zones de perceptions autres que la pensée. C’est comme si la pensée s’incorporait. J’ai beaucoup aimé l’installation de Fabien Léaustic : « La Terre est-elle ronde ? » à la Biennale Nemo, cet automne.
J’aimerais beaucoup voir « Ohm » d’Ann Van den Broek. Cette pièce là en particulier.